La chanson « Je ne sais pas chasser » a été écrite lors d’une retraite de quelques jours à mon retour d’un voyage en Inde. Bien installée dans la maison de mes parents au bord d’un lac, j’ai beaucoup écrit… Tout près du feu, un verre de vin en main, la guitare classique de mon père sur les genoux; c’est là que ma sécurité toute construite s’est tue pour faire place à l’incertitude, à la nostalgie de l’innocence.

Nous étions petits, mon frère, mes cousins et moi, quand nous avons construit dans la forêt ce merveilleux village en branches, planches et autre bois mort; la mousse était notre pain, les bûches nos sangliers, les aiguilles de pin notre tabac et les heures nos semaines. Nous jouions aux Indiens, aux colons, aux Gaulois; à n’importe quoi que c’est nous, comme on disait. Nous avions le loisir d’être ce que nous voulions des heures durant, et vers midi, le nez froid et les doigts engourdis, nous rentrions au chalet manger notre kraft dinner avec du ketchup.

Une amie qui se rend régulièrement à Chisasibi afin d’étudier les chants de chasse cris me racontait que la communauté autochtone retire régulièrement les élèves des écoles pour leur apprendre la survie en forêt. Comme j’aurais voulu apprendre à me nourrir autrement qu’en allant choisir un poulet à l’épicerie ! Moi qui suis incapable de pêcher sans mon frère, j’aurais pu profiter de certaines connaissances… Je suis plutôt du genre à poser des collets sur des pistes d’écureuils que j’aurais prises pour des traces de lapin.

Entre deux gorgées de vin, c’est ce vertige, cette conscience d’être dépendante d’un système impossible à maintenir dans les conditions actuelles qui m’ont happée. Nos richesses sont telles que nous les tenons pour acquises… et je serais complètement démunie sans elles. Me nourrir de mousse, de bûches et de thé des bois ne me mènerait pas bien loin, je le crains, et ce même si, d’une certaine manière, je me suis nourrie abondamment de ces heures à combattre les érables et les hêtres.

 

Je ne sais pas chasser

La neige plein les poumons, l’enfance au bord des lèvres

Le caoutchouc chante fort et fait fuir les lièvres

Il n’y a plus rien de sûr que les branches mortes

Elles étaient nos ramures, nous étions les plus fortes

La neige plein les poumons, où est ma cabane ?

Tiens, c’est le tas tout près qui ne ressemble à rien

Il n’y a plus rien de sûr que les branches mortes

Le grand hiver à ma porte

Et je ne sais pas chasser